Perspective des didactiques
convergentes de la langue maternelle et de la langue étrangère en situation d’apprentissage
précoce du FLE
NGUYEN VAN Huan
Responsable de l’enseignement du français
Service de l’Education et de la Formation de Ben Tre
Courriel : nvhuan01@yahoo.fr
Résumé : En situation d’apprentissage précoce de langue
étrangère (LE), l’apprentissage de la langue maternelle (LM) serait toujours
facilité et renforcé par celui d’une LE. Il existe la transférabilité des
compétences entre
les deux langues chez les enfants qui apprennent tôt une LE. Dans de telles
perspectives, il serait possible de penser à une promotion des didactiques
convergentes de la LM et de la LE aux niveaux de l’élaboration des curricula, des
pratiques pédagogiques et de la formation des enseignants.
Le projet de l’enseignement intensif du et en français
(EIDEF) qui a démarré en 1994 est mis en œuvre depuis 12 ans dans 19 villes et
provinces vietnamiennes. Le dispositif de mise en œuvre de ce projet a
constitué une référence pour d’autres expérimentations. En effet, grâce aux
expériences tirées de la mise en œuvre du projet de l’EIDEF, un autre projet de
l’enseignement précoce de
l’anglais a été expérimenté depuis des années dans une dizaine d’écoles
primaires à Ho Chi Minh-ville. Ce projet sera bientôt élargi dans d’autres
villes et provinces vietnamiennes.
Même si les avantages de l’apprentissage précoce de LE
font toujours l’objet d’une controverse, la tendance à introduire
l’enseignement d’une LE dans les écoles primaires se voit très nette à l’heure
actuelle au Vietnam dans le but de permettre à l’enfant de mieux maîtriser la
LE apprise dont il se servira dans son travail ultérieur. Quant au projet de
l’EIDEF, les résultats obtenus semblent être satisfaisants :
« Après 10 ans de mise en œuvre et la
certification francophone de 6 cohortes de bacheliers bilingues, le bilan
montre une stabilisation quantitative des effectifs, 17 500 élèves en 2004
et une indubitable réussite en termes de diplômation et d’intégration dans
l’enseignement supérieur : des taux de réussite exceptionnelle aux examens
de fin de cursus et aux concours d’entrée à l’université, une intégration
universitaire de haut niveau dans les pays francophones et au sein même de
l’appareil universitaire national. » (S. Cao, 2004)
En situation de bilinguisme précoce, comme le dit G. Lüdi (2001),
les habiletés métalinguistiques des
enfants bilingues sont plus avancées que celles de leurs pairs monolingues.
Cela signifie une meilleure compétence analytique, mais aussi et surtout un contrôle
cognitif supérieur des opérations linguistiques. Cela entraîne des avantages
lors de l’acquisition de la littéracie et de meilleures chances de succès
scolaires. D’après une analyse quantitative de l’AUF[1]
(S. Cao, 2004), les élèves « bilingues »
vietnamien-français ont obtenu des succès notables dans les examens de fin de
cursus et dans les concours d’entrée à des universités nationales et
francophones. L’enseignement primaire du français au Vietnam dans le cadre du
projet de l’EIDEF ne peut être considéré comme un véritable enseignement
bilingue. Cependant, étant donné que le volume horaire
consacré à cet enseignement est très important, à raison de 8 heures par
semaine, et qu’il est dispensé dès la 1ère, cet enseignement
apporterait des bénéfices à l’élève à qui il est dispensé. La réussite scolaire
des élèves « bilingues » serait due, en grande partie, aux avantages
apportés par cet enseignement « bilingue ».
Plusieurs auteurs ont avancé des hypothèses sur les
avantages de l’apprentissage précoce de LE
(G. Lüdi, 2001 ; L. Porcher &
D. Groux, 2003), à savoir :
L’exposition des enfants à une seconde langue au début
de la scolarité ne serait pas néfaste à leur développement harmonieux. Au
contraire, les avantages cognitifs et linguistiques qu’ils en retirent seraient
considérables.
L’appropriation d’une
seconde langue, voire une troisième langue dans un environnement linguistique
riche ne risquerait pas de restreindre la maîtrise en langue première, à
condition que celle-ci continue à être parlée et valorisée dans le réseau
communicatif de l’enfant.
Il n’y a aucun paradoxe, mais, au contraire, une
vérité didactique forte, à soutenir que l’apprentissage de la LM est toujours
facilité et renforcé par celui d’une LE. Celle-ci aide en effet l’élève à mieux
identifier sa propre langue, à la comprendre plus clairement, à en prendre
possession de manière adéquate.
Selon les résultats d’une recherche (V. H. Nguyen,
2005), les élèves « bilingues » vietnamien-français écrivent mieux
dans leur LM. Ces avantages seraient dus aux transferts des
compétences d’écriture de la
LE sur la LM. L’apprentissage précoce de
l’écriture en LM permet à l’enfant l’occasion d’enrichir son répertoire lexical
en LM, de comparer des faits linguistiques des deux langues, de réfléchir sur
les structures des langues apprises, d’acquérir des habiletés textuelles grâce
à l’apprentissage en redondance des types de texte, des procédures structurales
et textuelles… en deux langues. Il existe donc la transférabilité des
compétences d’écriture de
l’une sur l’autre chez les enfants qui apprennent tôt une LE. Les transferts de
compétences de la LE sur la LM seraient plutôt d’ordre positif. Dans de telles
perspectives, ne serait-il pas possible de penser à une promotion des
didactiques convergentes de la LM et de la LE ?
Prôner des didactiques convergentes ne signifie point
opter pour une uniformisation des deux méthodologies ou pour un
assujettissement de l’une à l’autre. L’objectif est d’harmoniser des approches
pédagogiques. Parler des didactiques convergentes signifie un investissement en
amont de l’élaboration des curricula.
La répartition des fonctions assignées à chaque langue
peut se traduire dans les programmes par une complémentarité des objectifs
fixés à l’enseignement de l’écriture dans
les deux langues, dont certains peuvent être transversaux. Les contenus
d’apprentissage, forcément spécifiques, peuvent interférer
pour favoriser l’établissement de comparaisons. Un fait grammatical ou textuel
peut être élucidé au recours à ce même phénomène dans l’autre système
linguistique ou discursif. La nécessité de prendre appui, dans l’enseignement
d’une langue, sur le répertoire cognitif et langagier de l’élève et sur les
acquis dans une autre langue. Lorsque l’élève accède à la grammaire d’une LE,
il est déjà entièrement ou partiellement « grammaticalisé » dans sa
LM. Une production écrite dans une langue reprend des schémas narratifs ou des
cheminements argumentatifs déjà intériorisés ou appris dans une autre langue.
Le recours au métalangage et le développement
progressif d’une conscience métalinguistique semblent de plus en plus revêtir un grand
intérêt dans la maîtrise des deux idiomes. Il serait possible de promouvoir
l’idée d’un « éveil au langage » (E.-W. Hawkins, 1981 ; D. Moore, 1995) intervenant dès l’école primaire.
Cette orientation d’éveil au langage peut constituer une source d’inspiration
pour promouvoir la convergence didactique. Celle-ci est susceptible de
favoriser une réflexion de l’élève sur la diversité des deux langues à travers
des activités d’observation des faits linguistiques et textuels propres à
chaque langue, de comparaison, même rudimentaire, entre eux. Cette orientation
éducative alimente l’intérêt des élèves pour les langues, suscite des attitudes
favorables à leur égard, les aide à diversifier leurs modes d’expression, les
amène à d’autres moyens de rendre compte de la réalité, qui ne constituent pas
de simples calques de la LM, leur fait prendre, plus généralement, conscience
du caractère à la fois arbitraire et systématique des faits de langue et enfin,
comme toute activité métalinguistique, consolide leurs acquis dans les deux
langues.
La mise en œuvre de ce travail pose deux types de
problème. Une première question surgit d’emblée : c’est celle du
métalangage. Comment mener ces activités de réflexion sans faire abondamment
appel à un métalangage que, de toute évidence, les enfants de l’école primaire
ne maîtrisent pas encore ? Il est bien entendu que l’objet des activités
d’éveil au langage n’est pas de procéder à une analyse linguistique exhaustive
et complexe du fonctionnement des langues, mais de proposer à l’observation
certains phénomènes linguistiques et textuels accessibles à de jeunes enfants,
présentant un intérêt particulier comme la notion d’accent, les signes
diacritiques, l’ordre des mots, la place des anaphores… Il serait possible de
gérer cette opération en optant pour des termes relativement simples. Si ces
activités se doivent d’être accessibles, elles doivent également présenter un
caractère ludique.
Un autre problème se pose, c’est que pour mettre en
œuvre des activités d’éveil au langage, le professeur d’école doit être
bilingue, en l’occurrence, vietnamien-français. Etant donné que la plupart des
enseignants de vietnamien ne connaissent pas le français, il conviendrait que
ces activités soient menées, en français et en vietnamien, par les enseignants
de français.
Dans les activités de réflexion métalinguistique, il
serait souhaitable que les enseignants insistent sur les faits de langue qui
existent dans une langue mais pas dans l’autre ou qui apparaissent autrement dans
les deux langues dans le but de favoriser des transferts positifs et d’empêcher des interférences qui
pourraient être source des erreurs linguistiques chez les enfants. En référence
à V. Castellotti (1997,
p. 164), il conviendrait pour l’enseignant de français, en partant de la notion
d’interlangue, de réfléchir avec les élèves sur le rôle et les significations
possibles de leurs erreurs, plutôt que de les corriger.
Selon les résultats d’une recherche (V. H. Nguyen,
2005), il existe un cloisonnement néfaste des enseignants de vietnamien et de
français chargés d’une même classe « bilingue ». D’après les réponses
des enseignants enquêtés, il y a souvent l’absence de toute collaboration, de
toute coordination entre les enseignants des deux disciplines. L’enseignant de
français n’est pas au courant de ce que les élèves apprennent dans le programme
du vietnamien en matière de production écrite. Il en est de même pour
l’enseignant de vietnamien qui enseigne cette discipline sans se préoccuper du
fait que les enfants apprennent à écrire également dans une autre langue, donc
du contenu, des objectifs de cet apprentissage. Il s’agit là d’un phénomène étonnant si l’on
considère que ces enseignants sont des voisins plus proches, puisqu’ils sont
des enseignants de langue, c’est-à-dire ayant pour mission commune et
essentielle d’amener l’élève à la maîtrise consciente des systèmes de
communication.
Pour mettre un terme au cloisonnement des enseignants
des deux langues, il conviendrait d’organiser des types de travail où ceux-ci,
en binôme, proposent des activités, en l’occurrence, d’écriture, pouvant se dérouler en LM et en LE. Il ne
s’agit pas de mélanger les deux langues, mais plutôt de faire vivre aux
enfants, dès l’école primaire, que la LM n’est pas réservée au domaine affectif
et relationnel, cependant que la LE deviendrait une langue d’apprentissages
scolaires. Il s’agit aussi de prendre en compte les acquis langagiers de
l’enfant. Les habiletés à acquérir en LE doivent s’appuyer sur les acquis en LM
et celles à acquérir en LM peuvent se baser sur les acquis en LE. Les
enseignants doivent s’efforcer de favoriser les transferts, aidant les enfants à les gérer. On peut citer
le cas de l’acquisition des
types de texte en situation d’apprentissage simultané de l’écriture. La redondance dans
l’acquisition des types de texte, notamment des textes narratifs dans les deux
langues, permettrait aux enfants bilingues de mieux les approfondir et
d’acquérir des habiletés textuelles en deux langues. Pour mettre en œuvre le
type de travail en binôme, on peut organiser des projets bilingues, en
vietnamien et en français : journaux muraux, slogans, albums,
constructions de contes et récits…Tout au long du déroulement de ces projets,
les enseignants de LM et de LE interviennent alternativement, mais après s’être
mis d’accord sur les séquences à faire en LM et en LE (en dosant et régulant
les parts respectives de LM et LE).
Les activités de réflexion métalinguistique
permettront aux enseignants traditionnellement isolés dans leurs classes de se
rencontrer, de faire cause commune. Elles mettront un terme au cloisonnement et
à l’isolement des enseignants des deux langues. Une telle perspective n’est pas
sans poser de problèmes. Les deux obstacles majeurs sont le manque de
préparation linguistique dans les cours des enseignants et la répugnance de
leur part à mettre un terme au cloisonnement traditionnel et à participer à un
travail en équipe.
Dans la perspective de la didactique convergente, il
conviendrait d’orienter la formation initiale et continue des enseignants,
telle qu’elle peut être inspirée par l’approche de réflexion métalinguistique.
Il serait souhaitable, en effet, que les enseignants de LE soient sensibilisés
à cette approche, en suscitant chez eux, à partir de leur propre acquis en LM
comme en LE, une attitude de confrontation, d’ouverture et de découverte.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CAO S., 2004, « Evolution des programmes d’enseignement du français de
1990 à 2004 », dans Formation du français et en français :
évolution et adaptation professionnelles, Actes du séminaire régional
Asie-Pacifique du 22 au 26 novembre 2004, Nha Trang, Vietnam.
CASTELLOTTI V., 1997, « Langues
étrangères-langue maternelle, mariage d’amour ou de raison ? », dans Didactique
des langues étrangères, didactique des langues maternelles : ruptures
et/ou continuités ? Les cahiers de l’ASDIFLE n° 8, pp. 158-166.
CASTELLOTTI V., 2001, « Pour une perspective plurilingue sur l’apprentissage et
l’enseignement des langues » dans CASTELLOTTI V. (Dir.), D’une langue à
d’autres : pratiques et représentations, PUR n° 308, Publications
de l’Université de Rouen, pp. 9-37.
NGUYEN VAN Huan, 2005, Appropriation des
compétences d’écriture en vietnamien et en français par de jeunes enfants
vietnamiens, Thèse de doctorat, DYALANG CNRS FRE 2787, Université de Rouen.
LÜDI G., 2001, L’enfant bilingue : chance ou
surcharge ? Article disponible sur Internet, www.
romsem.unibas.ch/sprachenkonzept/annexes_8.htlm.
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