Les
effets de transferts en situation plurilingue et l’élaboration du curriculum de
formation secondaire du FLVE2
Par NGUYEN Van Huan
Chef du Bureau de l’Enseignement secondaire
Responsable de l’enseignement du français
Service de l’Education et de la Formation de Ben Tre
(Vietnam)
Courriel : nguyenvanhuan@bentre.edu.vn
Résumé : En situation de contact de langues, plusieurs
recherches montrent la transférabilité des compétences entre les langues. Ces
transferts sont d’ordre positif et négatif. Dans l’élaboration du curriculum de
formation du français LVE2, la nécessité de tenir compte des transferts de
compétences s’avère évidente par des
activités permettant de favoriser les transferts positifs et d’empêcher les
interférences.
Au Vietnam, l’enseignement secondaire du FLVE2 a démarré en 2001 dans
20 villes et provinces à partir de la classe de 10e (seconde en
France) dans le cadre d’un projet d’expérimentation. En 2001, cette matière a
été enseignée à près de 2000 élèves[1].
Depuis 7 ans (2001-2008), le nombre d’élèves de FLVE2 est en forte augmentation
chaque année. En 2007, plus de 45.000 élèves[2]
de collège et de lycée ont choisi d’apprendre le FLVE2.
Au début de l’expérimentation, le français LVE2 a été enseigné
au niveau du lycée, à partir de la classe de 10e. Depuis quelques
années, cette matière est introduite en classe de 6e, à l’entrée au
collège dans certaines villes et provinces vietnamiennes. Les élèves apprennent
donc de manière simultanée les deux langues étrangères : l’anglais LVE1 et
le français LVE2. Le contexte en mutation et en évolution au Vietnam met en
évidence la tendance à enseigner une 2e langue étrangère dans les
établissements scolaires vietnamiens. Selon le Projet de l’enseignement des
langues étrangères, période 2008-2020, qui a été validé en septembre 2008 par
le Premier ministre vietnamien, une 2e langue étrangère sera
introduite à partir de la classe de 6e. Le plurilinguisme devient
incontournable au Vietnam. D’où la nécessité d’accorder une attention à la
formation du FLVE2 tant au niveau secondaire qu’universitaire, en ce qui
concerne l’élaboration des curricula, la formation initiale et continue des
enseignants de français LVE2.
G. Lüdi (2001, p. 3) estime la situation du plurilinguisme dans le
monde comme suit :
« Dans
le monde actuel, la majorité des êtres humains est bi- ou plurilingue et/ou vit
dans des communautés bi- ou plurilingues […]. Dans les années 80 déjà, on
estimait que 60% de la population mondiale était affecté par l’une ou l’autre
forme de plurilinguisme. »
Allant dans le même sens que J. Lüdi, L.-J. Calvet (1999,
p. 32) affirme :
« Il n’existe pas de pays monolingue et la
destinée de l’homme est d’être confronté aux langues et non pas à la langue. »
A l’heure actuelle, plus de la moitié de la population
de la planète est en fait bilingue voire multilingue et la plupart sont des
locuteurs natifs de leurs deux langues, c’est pourquoi plusieurs études ont été
faites sur le bilinguisme et ont prouvé beaucoup d’effets de transferts
positifs entre la langue maternelle et la langue étrangère ou entre la LVE1 et
la LVE2. La situation de contact de langues apporte beaucoup de bénéfices à
l’élève, sur le plan du développement langagier, linguistique, cognitif et
social.
Pour Ch. Deprez (1999, p. 110), il faut faire
clairement la distinction entre, d’une part les savoirs langagiers qui relèvent
du langage en général, et d’autre part les savoirs linguistiques qui relèvent
de chaque langue en particulier. Les premiers sont acquis une fois pour toutes,
les seconds doivent faire l’objet d’un apprentissage spécifique chaque fois
qu’on apprend une nouvelle langue.
Pour les élèves qui apprennent une seconde langue plus
tard, il y a le transfert de ces savoirs langagiers acquis avec la première
langue dans la seconde et non le réapprentissage de toutes ces opérations. On
n’apprend pas à parler deux fois
G. Lüdi (2001, pp. 1-8) affirme que les habiletés
métalinguistiques des élèves bilingues sont plus avancées que celles de
leurs pairs monolingues. Cela entraîne des avantages lors de l’acquisition de
la littéracie et de meilleures chances de succès scolaires.
T. Skutnabb-Kangas et P. Toukomaa (1976, repris par HAMERS J.-F., BLANC M., 1989) ont montré qu’il y
avait une relation directe entre la compétence de l’enfant dans sa première
langue et la compétence dans la seconde. Si la première langue du sujet est
pauvrement développée pour diverses raisons et ensuite exposée à une seconde
langue, elle peut gêner le développement de la première. Le développement
pauvre des aptitudes dans la première langue va nuire au progrès fait dans la
seconde langue aussi bien en quantité qu’en qualité.
J. Cummins (1981, repris par HAMERS J.-F., BLANC M., 1989) a également formulé
une théorie qui repose sur deux hypothèses, l’hypothèse de l’interdépendance
développementale et l’hypothèse des seuils minimaux de compétence
linguistique. L’hypothèse de l’interdépendance développementale suggère que
le développement d’une compétence en seconde langue est fonction de la
compétence en première langue au début de l’exposition à la seconde langue. Pour
que les transferts puissent se faire de la 1ère langue vers la 2e
langue, il faut que l’apprenant ait un niveau
linguistique suffisant dans la langue première.
Les résultats de ma recherche portant sur
l’appropriation des compétences d’écriture en vietnamien et en français par de
jeunes enfants vietnamiens (NGUYEN Van Huan, 2005) permettent de voir qu’il y a
beaucoup d’effets positifs de transferts chez les élèves bilingues dans
l’acquisition des compétences d’écriture en vietnamien langue maternelle et en
français, filière bilingue. Ces élèves ont plus de chances de succès scolaires,
aux examens de fin de cursus, aux concours d’entrée à des universités.
Au niveau de l’orthographe, les élèves bilingues
étudiés font moins d’erreurs d’orthographe en
vietnamien que leurs pairs monolingues.
Au niveau du lexique, grâce à l’apprentissage du
vocabulaire français, ils auraient un répertoire lexical plus riche en
vietnamien.
Au niveau de la morphosyntaxe, l’acquisition de la
grammaire française les aiderait à mieux produire des phrases vietnamiennes,
grâce aux habiletés métalinguistiques qu’ils ont acquises en
situation d’apprentissage simultané des deux langues
Au niveau de l’organisation textuelle, ils produisent des textes mieux
ponctués, plus cohérents, plus riches en idées et en lexique.
Les élèves bilingues étudiés semblent mieux écrire en
vietnamien que leurs homologues monolingues. Le développement des compétences
d’écriture en vietnamien des enfants bilingues est plus avancé que celui
de leurs pairs monolingues.
Il existe donc la transférabilité des compétences en situation plurilingue. Ces transferts sont
d’ordre positif et négatif, mais les transferts positifs sont plus importants. Les
élèves apprenant deux ou plusieurs langues ont des avantages sur le plan du développement
cognitif par rapport aux monolingues parce que la situation plurilingue permet
de développer la compétence métalinguistique.
Tenant compte des aspects sus-abordés, dans
l’élaboration du curriculum de formation du français LVE2, les éléments
suivants sont à prendre en compte :
-
Il faut
prévoir des activités qui permettent les réflexions métalinguistiques pour favoriser
les transferts positifs et empêcher les interférences.
-
Les
contenus d’apprentissage dans les 2 langues (1ère et 2e
langues étrangères) peuvent interférer pour favoriser l’établissement des
comparaisons.
-
Un
phénomène grammatical ou textuel en LVE2 peut être élucidé au recours à ce même
phénomène en LVE1, surtout en ce qui concerne les concepts qui existent
autrement en LM et en LE (par exemple, les concepts de temps verbaux ou de
pronoms relatifs sont presque similaires en français et en anglais, mais très
différents en vietnamien).
-
Prendre
appui, dans l’enseignement de la LVE2, sur le répertoire cognitif et langagier
de l’élève et sur les acquis dans la LVE1.
-
Un seuil
linguistique suffisant en LVE1 est nécessaire pour que les transferts puissent
se réaliser de la LVE1 vers la LVE2. Pour pouvoir établir les comparaisons des
phénomènes linguistiques en LVE2 avec ceux en LVE1, il est nécessaire que ces mêmes phénomènes soient déjà acquis en
LVE1.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CALVET L.-J., 1999, La guerre des langues
et les politiques linguistiques, Hachette Littératures, Paris.
DEPREZ C., 1999, Les enfants
bilingues : langues et familles, CREDIF/Didier, Paris.
HAMERS J.-F., BLANC M., 1989, Bilingualité et
bilinguisme, Pierre Mardaga, Bruxelles.
LUDI G., 2001, L’enfant
bilingue : chance ou surcharge ? Article disponible sur Internet,
www. romsem.unibas.ch/sprachenkonzept/annexes_8.htlm.
NGUYEN Van Huan, 2005, Appropriation des compétences d’écriture en vietnamien et en français par de jeunes
enfants vietnamiens, Thèse de doctorat, DYALANG CNRS FRE 2787,
Université de Rouen.
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