Appropriation des
compétences d’écriture en vietnamien et en français
par de jeunes
enfants vietnamiens
NGUYEN VAN Huan
Responsable de l’enseignement du français
Service de l’Education et de la Formation de Ben Tre
Courriel : nvhuan01@yahoo.fr
Résumé : Cet article résume les résultats de ma recherche
portant sur l’appropriation des compétences d’écriture en vietnamien et en
français par de jeunes enfants vietnamiens dans le cadre du projet de l’enseignement intensif du et en français
(EIDEF) mis en œuvre depuis une dizaine d’années au Vietnam. Cette recherche a
été menée dans une école primaire vietnamienne sur deux années consécutives
auprès de 37 enfants dans la tranche d’âge de 7 à 10 ans, dont 20
« bilingues » vietnamien-français et 17 monolingues.
Les résultats de cette recherche permettent de
confirmer l’hypothèse des effets bénéfiques de transferts des compétences
d’écriture en situation de contacts précoces des langues. De plus, ces
transferts aideraient l’enfant à mieux écrire dans sa langue maternelle, ce qui
entraîne des avantages lors de l’acquisition de la littéracie et de meilleures
chances de succès scolaires.
1. Introduction
Le projet de l’EIDEF est mis en œuvre depuis plus de
10 ans dans 19 villes et provinces vietnamiennes. Les résultats de ce projet
semblent être satisfaisants. A ce sujet, une question est souvent posée :
les succès des élèves « bilingues » sont-ils dus aux bénéfices
apportés par l’enseignement « bilingue » ou au fait que ces élèves sont meilleurs
puisqu’ils ont été sélectionnés ? Cette recherche, ayant apporté quelques
éléments de réponse à cette question, a contribué à confirmer certaines
hypothèses sur les bénéfices attendus de l’apprentissage précoce de LE
que les élèves peuvent en retirer et qui ont été abordés par plusieurs auteurs.
Un des objectifs importants de ce travail porte sur l’étude
du développement avec l’âge des compétences scripturales en LM et en LE
chez les enfants « bilingues » par rapport à leurs homologues
monolingues en vue de déceler les caractéristiques de ce développement en deux
langues.
Pour dégager les avantages de l’enseignement précoce de LE,
un autre objectif de recherche a été axé sur le repérage des transferts des
compétences d’écriture entre
le vietnamien et le français chez les enfants « bilingues ». L’étude des transferts de compétences de la
LE sur la LM a été privilégiée pour conforter l’hypothèse que l’apprentissage
précoce d’une LE contribuerait à renforcer la LM de l’enfant, notamment sur le
plan de l’écriture.
2. Développement de l’acquisition des
compétences d’écriture chez les enfants « bilingues » en vietnamien
et en français
Plusieurs types d’enchaînement thématique ont été utilisés par les
enfants « bilingues » dans l’écriture en français : itération du
thème ou du
rhème, thématisation du rhème, dérivation du thème
ou du rhème. Cependant, les enfants apprentis scripteurs en français dans la
tranche d’âge de 7 à 10 ans semblent recourir massivement à la progression
thématique du
type : itération du thème et thématisation du rhème. La différenciation
des types d’enchaînement utilisés serait due au répertoire linguistique de
l’enfant scripteur et aux types de texte différents.
Les enfants ont utilisé deux types de procédure anaphorique dans leurs
copies, à savoir : les anaphores pronominales et nominales. En ce qui
concerne les anaphores pronominales, les pronoms personnels sujets
ainsi que les formes possessives et démonstratives sont très largement
dominants par rapport aux pronoms relatifs et pronoms personnels
compléments. Quant aux relatifs, dans tous les cas, c’est le pronom
« qui » qui est utilisé. Les
anaphores nominales observées sont les répétitions, les définitivisations, les
référentiations déictiques, les hyperonymes et les nominalisations. Les anaphores pronominales sont plus fréquemment employées
que les anaphores nominales.
Les enfants apprentis scripteurs en français ont eu recours à un
éventail d’organisateurs textuels plus
large : les ancrages déictiques/non déictiques temporels, les organisateurs
de coordination, de co-subordination et de subordination.
La subordination « pour » et les organisateurs temporels tels
que « aujourd’hui », « un jour », « le matin »,
« maintenant », « tout à coup » sont repérés dès la 2e
(7 ans). Les organisateurs de coordination et particulièrement le
« et » apparaissent de manière prédominante dans les copies
des élèves de 7 à 10 ans. La subordination est également repérée de 7 à 10 ans
et c’est toujours le même organisateur « pour » qui revient.
En référence à certaines études, notamment à celles de C. Dumord (1999) et
de M.-A. Akinci (2001),
il serait possible de formuler l’hypothèse que le développement de la
connectivité chez les enfants « bilingues » vietnamien-français
ressemblerait à celui de leurs homologues monolingues français et des autres
enfants bilingues. En effet, l’examen des copies d’élèves montre que la
coordination diminue alors que la subordination et la co-subordination augmente
avec l’âge, que la seule subordination « pour » s’observe dans les
copies d’enfants et que la coordination « et » apparaît de manière
importante dans la tranche d’âge de 6-7 ans.
2.1.4. Signes de ponctuation
Les signes de ponctuation observés dans les copies en français sont
assez diversifiés : les points, les virgules, les deux-points, les
guillemets, les points d’exclamation, les points de suspension et les points
d’interrogation.
L’usage des points reste massif chez les
enfants de 7-8 ans. Dès cette tranche d’âge, dans l’écriture en français, les
enfants « bilingues » ont recours aux signes de ponctuation plus variés : les points, les virgules,
les deux-points et les guillemets.
Au niveau orthographique, les erreurs repérées
portent sur l’orthographe lexicale relative, pour la plupart des cas,
aux homonymes. Ces erreurs pourraient s’expliquer par plusieurs phénomènes, à
savoir la conversion des phonèmes en graphèmes et la non-maîtrise des règles de
correspondance graphie-phonie du français, la surgénéralisation de l’emploi du
français et l’influence du système phonologique du vietnamien.
2.2. Acquisition des compétences d’écriture en
vietnamien
2.2.1. Signes de ponctuation dans les copies en vietnamien des deux filières
Les signes de ponctuation se
voient plus denses en français qu’en vietnamien, ce qui montre qu’en français,
les enfants ponctuent beaucoup plus, produisant ainsi des phrases plus courtes
et plus simples. Dans l’écriture en français, les élèves
« bilingues » font des phrases courtes et simples du type
sujet-verbe-complément d’objet direct ou attribut, des textes elliptiques et
courts où les idées sont notamment juxtaposées étant donné leur répertoire
linguistique encore
limité dans cette 2e langue. Les enfants apprentis scripteurs en
français sont encore dérangés par des considérations linguistiques, se
préoccupant notamment de l’orthographe et de
la correction syntaxique.
La présence des signes de ponctuation est
également plus dense dans les copies des élèves « bilingues » par
rapport à celles de leurs homologues monolingues. Grâce à la densité importante
des signes de ponctuation, les textes des élèves « bilingues »
semblent mieux ponctués que ceux des monolingues. Les élèves
« bilingues » auraient donc une meilleure compétence textuelle que
leurs pairs monolingues, du moins au sujet de l’usage de la ponctuation considérée
comme un outil d’ordre structural et textuel en écriture.
2.2.2. Erreurs dans les copies en vietnamien
Les erreurs en vietnamien des élèves
« bilingues » et monolingues concernent l’orthographe, la cohérence textuelle et l’usage des signes de ponctuation. On n’observe pas la
présence importante des erreurs morphosyntaxiques.
Les élèves « bilingues » font moins
d’erreurs d’orthographe et de cohérence textuelle que leurs pairs monolingues. Ils
écrivent mieux en vietnamien, produisant des textes mieux ponctués et plus
cohérents.
Les élèves « bilingues » font moins d’erreurs d’orthographe en
vietnamien que leurs pairs monolingues. Les résultats obtenus de l’analyse des
enquêtes réalisées avec les enseignantes et les élèves consolident l’hypothèse
que les expériences dans l’acquisition de
l’orthographe du français (procédures phonologiques et notamment
orthographiques) aideraient les enfants « bilingues » à éviter de
faire des erreurs d’orthographe en vietnamien.
Grâce à l’apprentissage du
vocabulaire français, les élèves « bilingues » vietnamien-français
auraient un répertoire lexical plus riche en vietnamien. L’examen
du développement de la longueur de texte dans les copies en vietnamien des
élèves « bilingues » et monolingues montre également que le nombre de
« syllabes » utilisées par les élèves « bilingues » est plus
élevé par rapport à leurs pairs monolingues.
Au niveau de la morpho-syntaxe, l’acquisition de la
grammaire française aiderait les enfants à mieux produire des phrases
vietnamiennes.
C’est grâce aux habiletés métalinguistiques acquises en situation
d’apprentissage simultané des deux langues que les enfants
« bilingues » comprennent mieux les structures syntaxiques du
vietnamien, évitent de faire des phrases agrammaticales et produisent ainsi des
phrases syntaxiquement plus correctes en vietnamien.
Les transferts des
compétences d’écriture au
niveau syntaxique se font du français vers le vietnamien mais aussi dans le
sens inverse.
Les transferts du vietnamien sur le français au niveau syntaxique se
voient par la présence des erreurs attribuables à l’influence du vietnamien car
elles concernent les phénomènes linguistiques qui apparaissent autrement dans
les deux langues (invariabilité des mots dans la phrase vietnamienne,
différence des concepts de temps verbaux et de l’ordre des mots dans la phrase
entre les deux langues, omission des prépositions, des conjonctions, des relatifs,
des personnels compléments, des verbes copules dans la phrase vietnamienne…).
La présence très modeste des pronoms personnels compléments dans leurs
copies en français serait due au fait que les enfants « bilingues »
n’ont pas l’habitude d’utiliser ces pronoms anaphoriques parce qu’ils sont
souvent omissibles en vietnamien.
Les élèves « bilingues » apprennent presque les mêmes types
de texte dans les deux langues, notamment les textes narratifs, descriptifs et
épistolaires, avec un certain décalage dans le temps. Ils ont donc la
possibilité de les approfondir, de transférer d’une langue vers l’autre ce
qu’ils ont appris en ce qui concerne la structure d’un type de texte donné, les
procédures textuelles et structurelles, les notions sous-jacentes.
La présence précoce de la subordination « pour » et de
certains organisateurs temporels dès 7 ans permet d’émettre l’hypothèse que les
enfants « bilingues » transfèreraient dans l’écriture en français les
notions (causalité, but, succession temporelle, etc.) acquises en vietnamien.
Il suffit pour eux d’acquérir en français un ensemble des termes sous-jacents à
ces notions pour pouvoir les utiliser en fonction des types de texte. C’est
grâce à leurs contacts précoces avec des récits tant en vietnamien qu’en
français (familiarisation précoce avec les contes et les récits oralisés en
vietnamien avant l’âge scolaire, contacts avec les textes narratifs en français
dès la 1ère) que les enfants ont acquis des notions sous-jacentes et
des termes permettant de les coder pour les réutiliser dans leurs productions
écrites en français.
L’usage diversifié des signes de ponctuation dès la
2e par les apprentis-scripteurs en français pourrait s’expliquer par
le fait que c’est grâce aux contacts précoces et permanents à l’écrit avec les
récits en vietnamien et en français que les enfants auraient acquis les outils
structuraux et textuels inhérents à la compétence textuelle. Le moment venu, les enfants transfèreraient
dans l’écriture en 2e langue la compétence textuelle acquise en 1ère
et inversement.
Les enfants « bilingues » possèdent un répertoire des
stratégies plus adéquates en vietnamien qu’en français parce que dans
l’écriture en 2e langue, ils ne réalisent pas toutes les étapes du
processus d’écriture : ils font très rarement la planification et la
relecture, écrivent d’un seul jet et suivent leur imagination en rédigeant ce
qui leur vient à l’esprit. Ils ressemblent donc aux scripteurs inexpérimentés
en LM.
Si les enfants scripteurs en français ne réalisent pas
toutes les opérations dans le processus d’écriture, c’est parce qu’ils ont un répertoire
linguistique limité.
Le niveau de compétence linguistique affecte la qualité des textes
écrits. Si cette compétence est restreinte, elle empêchera le transfert des
stratégies d’écriture de la
LM à la LE.
4. Conclusion
Les résultats de cette recherche permettent de confirmer l’hypothèse que
l’appropriation des compétences
d’écriture en
vietnamien par les enfants « bilingues » suivrait un développement
normal comme celui de leurs homologues monolingues en ce qui concerne le
développement langagier, linguistique et cognitif, c’est-à-dire qu’il n’y
aurait pas de retards par rapport à leurs pairs monolingues. Cela signifie que
l’acquisition de la LM par ces enfants ne serait pas menacée par le contact
précoce avec une autre langue.
Les enfants « bilingues » semblent mieux
écrire en vietnamien que leurs homologues monolingues parce qu’ils produisent
des textes mieux ponctués, plus cohérents, plus riches en idées et en lexique
et font moins d’erreurs orthographiques, syntaxiques. Le développement des
compétences d’écriture en vietnamien des enfants « bilingues » est
plus avancé que celui de leurs pairs monolingues. En effet, en situation de
bilinguisme précoce, comme le dit G. Lüdi (2001),
les habiletés métalinguistiques des
enfants bilingues sont plus avancées que celles de leurs pairs monolingues.
Cela signifie une meilleure compétence analytique, mais aussi et surtout un contrôle
cognitif supérieur des opérations linguistiques. Cela entraîne des avantages
lors de l’acquisition de la littéracie et de meilleures chances de succès
scolaires.
Les résultats de cette recherche contribuent à
conforter certaines des hypothèses sur les avantages de l’apprentissage précoce de LE
avancées par plusieurs auteurs (G. Lüdi, 2001 ; L. Porcher &
D. Groux, 2003), à savoir :
- L’exposition des enfants à une seconde langue au
début de la scolarité ne serait pas néfaste à leur développement harmonieux. Au
contraire, les avantages cognitifs et linguistiques qu’ils en retirent seraient
considérables.
- L’appropriation d’une
seconde langue, voire une troisième langue dans un environnement linguistique
riche ne risquerait pas de restreindre la maîtrise en langue première, à
condition que celle-ci continue à être parlée et valorisée dans le réseau
communicatif de l’enfant.
- En situation d’apprentissage précoce de LE,
il n’y a aucun paradoxe, mais, au contraire, une vérité didactique forte, à
soutenir que l’apprentissage de la LM serait toujours facilité et renforcé par
celui d’une LE. Celle-ci aiderait en effet l’élève à mieux identifier sa propre
langue, à la comprendre plus clairement, à en prendre possession de manière
adéquate, c’est-à-dire de l’intérieur et à distance. La réciproque est vraie,
dans une certaine mesure : ceux qui maîtrisent le mieux leur LM se
trouveraient les mieux placés pour apprendre à se servir d’une LE.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AKINCI M.-A. & JISA H., 2001, « Développement de la narration
en langue faible et forte : le cas des connecteurs », AILE n°
14, pp. 87-110.
DUMORD C., 1999, « Apprentissage des
connecteurs et production écrite au CP » dans Lecture et Ecriture à
l’école. Tome 1 : cycles 1 et 2, CRDP de Créteil, pp. 89-99.
LÜDI G., 2001, L’enfant bilingue : chance ou
surcharge ? Article disponible sur www.
romsem.unibas.ch/sprachenkonzept/annexes_8.htlm.
NGUYEN VAN Huan, 2005, Appropriation des compétences d’écriture en
vietnamien et en français par de jeunes enfants vietnamien, Thèse de
doctorat soutenue à l’Université de Rouen.
PORCHER L. & GROUX D., 2003, l’apprentissage précoce des
langues, PUF, Paris, Que
sais-je ?
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