Par NGUYEN Van Huan
Directeur-Adjoint du SEF de la province de Ben Tre
(Vietnam)
Au Vietnam, les classes
bilingues francophones, ayant démarré en 1994, sont mises en œuvre depuis près
de 20 ans dans une vingtaine de villes et provinces vietnamiennes.
L’introduction du français dans les
écoles primaires a pourtant soulevé beaucoup de débats dans les médias
vietnamiens. L’opinion publique n’était pas toujours favorable à cet
enseignement qualifié de prématuré.
Cependant, les premières années de la
mise en œuvre du Projet ont connu des succès spectaculaires : le
nombre de classes bilingues francophones a augmenté sans cesse
d’année en année. Or, depuis quelques années, les parents d’élèves ne portent
plus d’intérêt à ce projet. Dans certaines provinces, le recrutement des élèves
en classes de 1ère année du primaire est
extrêmement difficile. Cela signifie que ces classes sont menacées
d’extinction.
L’introduction d’une 2e langue
étrangère dans les écoles secondaires au
Vietnam rencontre aussi des difficultés, parce qu’on a peur d’une surcharge et
d’une confusion entre les langues apprises chez les élèves.
Si l’on se réfère à la littérature didactique, on voit bien
que plusieurs auteurs ont affirmé les
bénéfices du plurilinguisme aux niveaux du développement langagier,
linguistique, cognitif et culturel chez l’enfant.
Selon C. Deprez (1999), pour les enfants qui apprennent une
seconde langue plus tard, il y a transfert du savoir langagier acquis avec la première
langue dans la seconde et non réapprentissage de toutes ces opérations.
J.-F. Hamers et M. Blanc (1989) posent que l’expérience plurilingue
permettrait une meilleure exploitation des habiletés métalinguistiques.
D. Groux (1996) considère qu’une éducation multilingue
précoce permet à l’enfant de pénétrer des cultures, de les comprendre.
En référence au cas des classes
bilingues francophones au Vietnam, il est incontestable que la qualité de cet
enseignement est bonne par rapport aux autres programmes d’enseignement de
langues étrangères mis en œuvre dans les établissements secondaires.
L’enseignement du français
LVE2, ayant démarré en 2001 dans une vingtaine de villes et provinces
vietnamiennes à partir de la classe de 10e dans le cadre d’un projet
d’expérimentation, connaît aussi des succès. En 2001, cette matière a été
enseignée à près de 2000 élèves. En 2006, plus de 50000 élèves de collège et de
lycée ont choisi d’apprendre le français LVE2.
Cependant, depuis quelques
années, l’anglais voit sa part s’accroître d’année en année au détriment des
autres langues étrangères. La prépondérance de l’anglais devient un phénomène
irréversible. L’anglais risque de devenir l’unique langue étrangère enseignée à l’école.
On constate une baisse des effectifs des élèves
apprenant le français. En 2006, le programme bilingue francophone concerne
16627 élèves ; en 2009, le nombre d’élèves bilingues francophones diminue
d’environ 3000. Le français LVE2 se voit aussi régresser : 37007 élèves en
2009 par rapport à 50287 élèves en 2006. La régression se voit plus nette en
français LV1 : pendant 3 ans, de 2006 à 2009, le nombre d’élèves apprenant
ce cursus diminue d’environ 55000.
Le
tableau ci-dessous du MEF nous permet de voir la régression du français en 2009
par rapport à 2006 :
Cursus
|
Total
|
|||||||||
FLV1
|
FLV2
|
FàO
|
FB
|
|||||||
Années
|
2006
|
2009
|
2006
|
2009
|
2006
|
2009
|
2006
|
2009
|
2006
|
2009
|
Enseignants
|
622
|
280
|
292
|
219
|
59
|
60
|
419
|
336
|
1382
|
895
|
Élèves
|
85183
|
28779
|
50287
|
37008
|
1609
|
1674
|
16627
|
13809
|
153706
|
81270
|
Classes
|
1963
|
870
|
1184
|
930
|
62
|
71
|
619
|
520
|
3823
|
2391
|
Établissements
|
245
|
119
|
116
|
106
|
21
|
24
|
112
|
97
|
494
|
346
|
Cette régression s’explique
par plusieurs raisons. Pour les classes bilingues francophones, la mise en
œuvre de ce cursus a été faite dans le cadre d’un projet avec beaucoup de
soutiens financiers des partenaires francophones. Depuis le départ de l’AUF en
2006, ce programme très innovant s’intègre très difficilement dans le système éducatif national vietnamien. Cette intégration
difficile se voit dans l’organisation de l’enseignement : programmes,
livres, documents, horaires, évaluation, certification..., dans la
titularisation difficile d’enseignants, dans la carence constatée d’enseignants de
disciplines non linguistiques. Le statut du français LVE2 reste instable, parce
qu’il est toujours considéré comme une matière optionnelle, ne faisant pas
partie intégrante du système éducatif national. Cependant la raison la plus
importante qui fait le maintien et la promotion difficile du français concerne
la suprématie de l’anglais. D’où il manque un intérêt et une motivation pour le
français chez les acteurs éducatifs, les parents et les élèves. En plus, une absence de concours des
partenaires francophones rend extrêmement difficile la promotion de cette
langue au Vietnam, que ce soit des moyens financiers ou autres (l’attention est
attirée ici sur le problème de refus de visa pour les bacheliers francophones
depuis quelques années par le Service de visa au Consulat général de France à
Hô Chi Minh-ville).
Vu les états de fait de
l’enseignement du français au Vietnam, il serait nécessaire de centrer nos efforts sur ces deux
cursus : classes bilingues francophones et de français LVE2. Le
français a beaucoup de difficultés dans la concurrence avec l’anglais en tant
que LVE1. Donc, l’avenir du français au Vietnam serait la LVE2.
Dans le cadre du Projet
d’enseignement de langues étrangères jusqu’à 2020 validé par le Premier
Ministre, il est nécessaire d’intégrer
le français LVE2 et bilingue dans le système éducatif national du Vietnam pour
leur donner un statut stable.
L’information
et la communication envers les chefs d’établissements, les SEF et les familles
sur les débouchés, sur les avantages de l’enseignement plurilingue doivent être
aussi prises en considération pour promouvoir les classes bilingues
francophones et de français LVE2. Tant que les gens ne sont pas encore suffisamment informés
sur les bénéfices de l’enseignement plurilingue, la promotion du français reste
encore très difficile.
Il
est aussi important d’affirmer que le maintien et la promotion du français au
Vietnam sont bien liés au soutien et concours efficaces des partenaires
francophones, notamment de la France, sans quoi, la tâche en question est
extrêmement difficile. Il est maintenant temps de sonner l’alarme sur la régression du
français et de prendre des mesures pour sauvegarder cette langue.
Références bibliographiques
DEPREZ C., 1999, Les enfants bilingues : langues et
familles, CREDIF/Didier, Paris.
GROUX D., 1996, L’enseignement précoce des
langues. Des enjeux à la
pratique, Editions de la Chronique sociale, Lyon.
HAMERS J.-F. & BLANC M., 1989, Bilingualité et bilinguisme, Pierre Mardaga, Bruxelles.
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